UN CONTE SANS FEE

Nombreuses sont les personnes qui nous demandent régulièrement des détails sur la façon dont Carlisle et moi nous sommes rencontrés et sommes tombés amoureux.

Nous avons longuement discuté de l’intérêt d’un tel récit et de la meilleure façon de le faire. Nous sommes finalement tombés d’accord sur l’idée qu’il fallait que chacun de nous raconte les évènements comme il les avait vécus. Le plus simplement possible.

Ce jour qui a fait que …


Je me suis longtemps demandé si les choses auraient pu se dérouler autrement, si tout aurait été pareil, si j’aurais été vraiment moi-même, si toute notre histoire aurait pu avoir un sens…

Probablement pas. Pas sans elle à mes côtés.

En 1911, je travaillais dans un petit hôpital à Colombus. Je connaissais déjà Esmée, je l’avais soignée pour une chute. Nous vivions au sein de la même communauté et je me souviens que, déjà à l’époque, sa beauté ne laissait personne indifférent. Pas même moi.

Mais elle était humaine et tout désir pour elle m’était bien sûr interdit. Je n’ai jamais eu un geste envers Esmée qui aurait traduit plus que de la simple courtoisie. Mais au plus profond de moi-même, je savais déjà que je ne pouvais me contenter de cela. J’ai donc décidé de m’éloigner et de poursuivre mon chemin loin de Colombus. C’était le mieux à faire pour nous deux.

Je me suis dirigé vers la ville de Chicago où personne ne me connaissait. J’y ai œuvré en tant qu’obstétricien pendant de nombreuses années, avant de refaire mes valises. J’arrivais à ma limite, les gens commençaient à se questionner sur (longue) jeunesse. Je devais m’en aller. Mais l’épidémie de grippe frappa alors la ville, je devais aider. C’est à cette époque que je pris la décision de transformer Edward. Il devint mon compagnon de route, et ensemble nous avons mis le cap sur le Wisconsin.

Si j’avais su ce jour-là que j’allais y retrouver Esmée… je n’y aurais sans doute jamais mis les pieds. Elle est ainsi revenue dans ma vie en une seconde.

Ce jour là, mon service prenait fin. Mais je devais encore me rendre à la morgue pour autopsier le corps d’une femme s’étant jetée d’une falaise. Un acte désespéré.

A peine le pas de la porte du labo derrière moi, j’ai compris que quelque chose clochait. Je percevais un battement régulier, des pulsations tellement faibles que pendant un instant j’ai cru les avoir imaginées. Je me suis retourné, j’ai vérifié les moindres recoins, j’ai considéré les moindres odeurs autour de moi… rien. Mais cette même cadence ne cessait de battre, encore et encore. Toujours aussi faiblement.

Puis d’un coup l’évidence frappa, brisant le silence des lieux : Cette pulsation régulière provenait d’un cœur, et ce même cœur se trouvait juste devant moi.

Cette femme, que tous prenait pour morte, était encore en vie. Elle luttait encore alors que personne n’y croyait plus. Cette vérité me coupa le souffle et pendant un moment, je ne sus plus quoi faire. Alors, comme fasciné par cette mélodie, je me suis approché lentement, presque religieusement. J’ai finalement osé soulever l’étoffe, dévoilant ainsi le visage de celle qui vivait malgré tout.

Et là… une myriade de souvenirs m’irradia. C’était elle. Ces souvenirs que je croyais révolus, me revinrent en pleine face. Comme dans mes souvenirs, des boucles caramels encadraient un visage d’ange et son teint de porcelaine invitait à la caresse. C’était elle, c’était Esmée.

Le temps me manquait car, au fur et à mesure, je prenais conscience de son état. Oui, son cœur battait… mais pour encore combien de temps ? Il était tellement faible. La médecine de l’époque ne pouvait rien pour la sauver… et cela me détruisait.

Le choix s’imposa alors de lui-même.

Sans une seconde de plus, je la pris dans mes bras pour l’emmener chez moi.

Pendant tout le temps de la transformation, j’ai tenté de me persuader que je faisais cela pour la sauver, que c’était le seul moyen. Mais une partie de moi savait que je ne pouvais plus m’éloigner d’elle. Sans que je le sache, Esmée m’avait sauvé depuis bien longtemps déjà.

Il avait suffit d’une seconde des années auparavant pour que je lui sois lié à jamais.

… Comme une évidence


Souvent lorsque je lis vos commentaires et vos questions, j’ai l’impression que mon existence est un conte de fées. J’ai la chance d’avoir un époux et des enfants qui me comblent chaque jour. Mais il n’en a pas toujours été ainsi.

Je garde de ma vie humaine des souvenirs que j’aimerais pourtant oublier. Il me semble que les seuls moments de bonheur de cette triste période furent ma rencontre avec le Dr. Cullen et la naissance de mon fils.

Je n’avais que 16 ans lorsque j’ai rencontré Carlisle pour la première fois. C’était en 1911. Je m’amusais souvent à escalader les branches du vieux cerisier au fond du jardin avec mon cousin Peter. Un après midi de septembre, je fus moins prudente que d’ordinaire, habituée que j’étais à cet exercice. Mon pied dérapa sur l’écorce rendue glissante par la pluie qui était tombée dans la journée, et je chutai. Ne pouvant me relever, le docteur qui officiait à cette époque dans notre ville fut appelé.

Je ne l’avais toujours vu que de loin depuis son arrivée dans la région, et ce fut la première fois que je le rencontrais officiellement. Lorsqu’il posa son regard doux sur moi, je me sentis immédiatement en sécurité et apaisée. La douleur de ma jambe cassée me sembla lointaine, et je n’accordai plus d’importance qu’à son visage et à ses doigts froids. J’étais comme fascinée par cet homme que je rencontrais pour la première fois.

Durant les semaines et les mois qui suivirent, toutes mes pensées étaient tournées vers lui. Le souvenir de son visage et de sa voix m’obsédait. Plusieurs fois, je tentai de remonter dans cet arbre, espérant en tomber, pour qu’il s’occupe à nouveau de moi. Il partit peu de temps après pour Chicago, et je ne le revis jamais. Lorsque j’appris son départ, un sentiment de vide et de tristesse infini s’empara de moi.

Puis, l’année de mes 22 ans, mon père me pressa d’accepter la demande en mariage de  Charles Evenson, le fils ainé d’amis de la famille. En société, c’était un homme charmant et je me laissai convaincre qu’il pourrait faire mon bonheur. Son véritable visage se révéla en privé, et je me rendis vite compte à quel point je m’étais laissée abuser. Je ne garde aucun souvenir heureux de cet homme violent et irascible. Je ne l’ai jamais aimé, et il me le rendait bien. Chaque jour était entièrement consacré à rechercher un moyen de lui échapper. Parfois, j’espérais même que ses coups finiraient par me tuer, pour que je sois enfin libérée de lui.

Son départ pour la guerre en 1915 fut un véritable soulagement, et je priai avec ardeur pour qu’il n’en revienne jamais. En vain. C’est un homme encore plus terrible qui revint du front en 1919.

En 1920, je suis tombée enceinte. Cependant, je ne pus me résoudre à mettre au monde un enfant que je ne saurais protéger d’un homme comme Charles. La fuite fut donc une évidence.

Je me réfugiai chez mon cousin Peter dans le Milwaukee, seule personne qui avait toujours été un soutien pour moi. Rapidement, mes parents surent où je me trouvais et je dus m’enfuir à nouveau vers le Nord. Je m’installai alors dans les environs d’Ashland où je me fis passer pour une veuve de guerre. Il y en avait tellement à cette époque que personne n’en douta. Je pus ainsi m’établir et prendre un emploi d’institutrice en toute respectabilité.

Une nouvelle vie commençait pour moi, et avec elle s’offraient des perspectives d’avenir que je n’aurais osé imaginer quelques mois plus tôt. En 1921, je donnai naissance à un petit garçon que j’appelai Peter.

Quelques jours à peine après sa naissance, il fut emporté par une fièvre pulmonaire. Dire que je fus anéantie serait encore loin de la vérité, et je ne pus envisager de continuer à vivre dans ce monde où tout espoir de bonheur m’était refusé. Sans cet enfant, je n’avais plus envie de me battre.

Dans l’une des superbes falaises surplombant Ashland, je me laissai tomber sans un regret pour cette vie que je ne supportais plus.

Je me souviens que je redoutais le moment où je toucherai enfin le sol. Mais rien. Je ne me rappelle que d’une douleur infiniment longue et infernale. Parfois une voix lointaine résonnait mais la souffrance physique et la sensation d’être brulée vive m’empêchait de penser.

Lorsque la douleur s’atténua enfin et que j’ouvris les yeux, je sentis une main chaude dans la mienne et le visage de l’homme que je n’avais pu oublier pendant des années s’imposa à moi. Je fus alors persuadée d’être arrivée au Paradis. Il ne pouvait en être autrement. Je me sentais infiniment bien, comme si tout le mal être m’avait abandonnée. Seule une brulure dans la gorge persistait.

Quand Carlisle me raconta son histoire et ce qu’il m’avait fait, étrangement, cela m’indifféra. Je me moquais de savoir ce que j’étais devenue, et de savoir s’il disait la vérité. Je me sentais bien pour la première fois.

****

Pour le reste, nous pensons qu’à l’heure où nos vies à tous s’étalent sans pudeur sur la toile, il est bon que certaines choses demeurent du domaine de l’intimité et du secret …

Affectueusement,

Carlisle & Esmée


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